vendredi 10 avril 2020

Un cheval fou déchire un horizon


Un poème de Michel Lagrange 



L’HIDALGO

Celui qui dans l’éventail des hennissements
N’entend vibrer que des chevaux
Réduit son envergure
À des sentiers battus d’avance
Et prosaïques


Autant de visions que d’échappées belles


Ma Rossinante a plus d’instincts
Que de raison
Elle galope et reçoit les renforts
De chevaux cabrés scabreux de légende
Issus vivants de l’imagination
De l’océan et du vide aérien


Marée montante aux crins d’écume
Et aux sabots griffus palmés


Extravagants
Chevaux du vent roulant mes fantasmagories


La vérité de mon délire
Est le consentement de la terre et du ciel
Pour les obsessions de mon envergure


Si je suis le cavalier nu
C’est pour être au cœur du voyage
Au plus poreux de mon identité
Et recevoir l’accord des oraisons du vent


Une femme nue s’évapore
Et me répond
Depuis le ventre des chevaux

Incarnation de pensées revenant
De mon enfance inaltérée
Laquelle aura le dernier mot


Ultrasons de mémoire
Autant de palimpsestes
Issus obliquement de mes nuits mémorielles


En fonction de ma destinée
L’alchimie d’un mirage en vue
M’oblige à me porter
À la hauteur d’un monstre exubérant


Dans la gueule du loup
Les fruits de mes nuits sont payants
Comme en haut d’un mât de cocagne


Une porte égueulée
M’affronte
Infernale et foraine


Une gigantesque armada
Tourne casaque aux vents mauvais
Et porte au ciel ses bras déments


Écho de mes regards mortels
Squelettique un œil échassier
Est aux aguets


Ce sont des ennemis que je connais par cœur
Et que je nourris de mon sang
Pour en gagner mes lettres de noblesse
Et mes galons dorés sur tranche


Ivresse et profession de foi
Ne vont pas de concert
Je vois ce que je crois
Au-dessus de l’abîme


Hurlant son innocence
Aux accents d’ex-voto
Criés par la fenêtre des vaincus
Un cheval fou déchire un horizon
Comme une apparition du voilier d’un naufrage


De la cavalerie marine à ce cheval
Cloué vivant sur un ciel sans échos
C’est ma vie que je vois passer
Comme avant de mourir


Toute une symphonie de tourbillons sonores
Avoue l’Apocalypse en cours


L’arbre nu de ma nudité
M’a défolié de ma pudeur


Poète affabulant c’est ma version
Vue par les yeux d’un enfant de quatre ans
Qui traduit ce mirage en vérité première


Je n’obéis qu’à ma logique interne
Et vierge autant que primitive


De ses cris d’ultrasons
L’ennemi me crève les yeux
Et sa laideur me perce les tympans


Quand le Mal me condamne
Au seuil brûlant de son délire
À l’Infini je suis tenu


Je vois ma renommée briller dans un soleil d’automne
Et je sème au galop le vaccin de ma déraison


Dans ma vocation d’Absolu
Je suis un erratique un ascète hidalgo
Mon sang est couleur d’encre noire
Et de haute volée


Le temps m’égare en chemins de traverse
Et la vie alentour me parle en fruits venus
De généalogies subtiles


Je suis le voyageur sacré d’une écriture
Exclue de la pensée courante


En ce grand livre ouvert
Par l’épidémie de ce Mal
La raison n’y voit que grisaille
Et trompe-l’œil
Comme sur un triptyque hermétiquement clos


C’est moi qui remets le monde en couleurs
Contre vents et marées profanes
À cœur ouvert à corps perdu


Cadavres des moulins à vent
Désillusions


En finir avec le combat
Me tue


Quand je ralentis je m’enfonce
Au point que je n’existe plus
Que pour un combat nouveau-né


Je connais les revers de ce qui me dépasse
Ils amplifient le circuit de mon sang
Et le haut-relief de ma raison d’être


Je fais du Mal qui me taraude
Une œuvre d’art


Cavalier Chevalier Seigneur des apparences
Au-delà du danger
Je mets à jour mon corps de gloire
Et suis le Messager de la Bonne Nouvelle


Sous le dernier sabot du dernier cheval-destinée
C’est ma folle raison qui combat la folie
Des humains raisonnables

Dans un espace illustre et inconnu
Et dans un temps pyramidal
Ma mort sera l’apothéose


Un vol d’oiseaux
Triangulaire
Arrive à point nommé
Pour élever mon âme
Au-delà de ma vie


Le Mal universel succombe


Je vais dormir en liberté
Dans les ronciers de mon génie



                                     Michel Lagrange février 2020

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Un Don Quichotte sculpté par Pierre Mouzat avait inspiré à Michel Lagrange un beau poème que j’ai relu il y a peu. J’étais un peu jaloux… Le poète l'a su. Il s’est donc penché sur mon Quichotte à moi en proie aux Sortilèges sur la Mancha.
Cet Hidalgo inspiré d'une peinture n'est pas un texte didactique ou critique, ce n’est pas un commentaire de plus relatif au triptyque peint en 2015, mais une création parallèle pleine et entière. 

Si je suis tenté d’écrire le mot "illustration" c’est par goût du paradoxe et parce qu’il me plait d’inverser ici la proposition habituelle qui veut que les oeuvres des écrivains soient illustrées par des oeuvres de dessinateurs, peintres ou photographes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Lagrange_(po%C3%A8te)

Voir plus de détails du triptyque


Les Sortilèges sur la Mancha   Technique mixte  Triptyque 146 x 301 cm