samedi 19 septembre 2020

J'ai été un homme impossible ...

 Un texte de Michel Lagrange

 


 

LA MORT DE DON QUICHOTTE

 

Mourir

Le dernier grand écart

La fin de mes commencements

La porte dérobée

La salle enfin déserte

Et ma nudité qui revient vers moi

Après les parodies faussaires

 

Je ne sais plus dans quelle vie je me suis fourvoyé

Selon des ricochets qui ne m’appartenaient qu’à peine

 

J’ai suivi des chemins qui avaient le bonheur

De ne pas exister

 

J’ai vécu erratique et pour des quiproquos

De carnaval sans joie

 

À contre-courant j’ai vécu

Le deuil de mes naïvetés

 

Je n’ai été qu’un palimpseste

Imprimant des textes menteurs

Pour la vérité de ma déraison

 

J’ai converti des professions de foi

En lumière intérieure

 

Le masque adhère à mon visage

Au point que je ne sais plus qui est qui

De l’armure ou de l’épiderme

 

La vérité n’est qu’une erreur qui a sauvé sa peau

 

Il y a peu du délire à la sainteté

De l’abnégation au désordre

Et de l’aveuglement à la lucidité suprême

 

Regarder l’univers comme il est

C’est mourir

 

La vérité de mes erreurs a sculpté mon visage

Et modifié le monde

 

J’ai été un homme impossible

Et je me suis construit dérisoire et tragique

Un autre étrangement moi-même

 

J’ai été le lierre amarré au mur

Où il défend sa verticalité

Contre les pesanteurs rampantes

 

Absolu serviteur

Chevalier de ma Dulcinée

J’ai mis l’Amour en lettres d’or

Pour inventer de la Lumière

 

Mon Absolu

A eu le tort de ne pas exister

Autant que ma ferveur

Dévote et sans malice

 

Héros de carton-pâte

Et bienheureux parmi les saints du ciel

Je n’ai jamais menti-truqué

 

Sans savoir je comblais des manques

Et rejetais la pauvreté des choses

 

J’ai constamment payé de ma personne

Et me suis agrandi

Jusqu’à l’esprit d’enfance

 

À la fin de ma vie je défais sans regret

Le destin de ma démesure

 

Toute ma vie j’ai cru ma vie

J’aurai toute ma mort pour conquérir

Cette simplicité native

Et désertée dès mon adolescence

 

Mourir réunifie mes courants divagants

J’y gagne une simplicité paisible

Aux dépens des ciels du Greco

 

Mourir me résume à ce corps usé

D’avoir battu le monde en brèche

Et donné tort aux malveillants

 

Voici le coup de grâce

Au nom de cette absurdité

D’un Amour sans limite

En train de s’évader du temps

Pour mériter le ciel

 

Obsédé de la perfection

Je laisse au vent mon œuvre éparse

 

Elle est poussière et prend son vol

Délirant par monts et par vaux

À la façon d’un post-scriptum

 

Je ne mourrai pas tout entier 

                                            

                                     Michel Lagrange février 2020

 

Don Quichotte - La Fin du rêve
Technique mixte sur toile
Collection Musée d’Amberg (Allemagne)