Un texte de Michel Lagrange
LA MORT DE DON QUICHOTTE
Mourir
Le dernier grand écart
La fin de mes commencements
La porte dérobée
La salle enfin déserte
Et ma nudité qui revient vers moi
Après les parodies faussaires
Je ne sais plus dans quelle vie je me suis fourvoyé
Selon des ricochets qui ne m’appartenaient qu’à peine
J’ai suivi des chemins qui avaient le bonheur
De ne pas exister
J’ai vécu erratique et pour des quiproquos
De carnaval sans joie
À contre-courant j’ai vécu
Le deuil de mes naïvetés
Je n’ai été qu’un palimpseste
Imprimant des textes menteurs
Pour la vérité de ma déraison
J’ai converti des professions de foi
En lumière intérieure
Le masque adhère à mon visage
Au point que je ne sais plus qui est qui
De l’armure ou de l’épiderme
La vérité n’est qu’une erreur qui a sauvé sa peau
Il y a peu du délire à la sainteté
De l’abnégation au désordre
Et de l’aveuglement à la lucidité suprême
Regarder l’univers comme il est
C’est mourir
La vérité de mes erreurs a sculpté mon visage
Et modifié le monde
J’ai été un homme impossible
Et je me suis construit dérisoire et tragique
Un autre étrangement moi-même
J’ai été le lierre amarré au mur
Où il défend sa verticalité
Contre les pesanteurs rampantes
Absolu serviteur
Chevalier de ma Dulcinée
J’ai mis l’Amour en lettres d’or
Pour inventer de la Lumière
Mon Absolu
A eu le tort de ne pas exister
Autant que ma ferveur
Dévote et sans malice
Héros de carton-pâte
Et bienheureux parmi les saints du ciel
Je n’ai jamais menti-truqué
Sans savoir je comblais des manques
Et rejetais la pauvreté des choses
J’ai constamment payé de ma personne
Et me suis agrandi
Jusqu’à l’esprit d’enfance
À la fin de ma vie je défais sans regret
Le destin de ma démesure
Toute ma vie j’ai cru ma vie
J’aurai toute ma mort pour conquérir
Cette simplicité native
Et désertée dès mon adolescence
Mourir réunifie mes courants divagants
J’y gagne une simplicité paisible
Aux dépens des ciels du Greco
Mourir me résume à ce corps usé
D’avoir battu le monde en brèche
Et donné tort aux malveillants
Voici le coup de grâce
Au nom de cette absurdité
D’un Amour sans limite
En train de s’évader du temps
Pour mériter le ciel
Obsédé de la perfection
Je laisse au vent mon œuvre éparse
Elle est poussière et prend son vol
Délirant par monts et par vaux
À la façon d’un post-scriptum
Je ne mourrai pas tout entier
Michel Lagrange février 2020
Don Quichotte - La Fin du rêve Technique mixte sur toile Collection Musée d’Amberg (Allemagne) |